- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 13 mai 2012

Guerre et Paix. Et saucisse


article précédent : il pleut





Ce soir je vais conclure.


Jean-Claude Dusse,
à de très (très) nombreuses reprises, dans
les Bronzés font du ski, 1979 



Jean-Claude Dusse (Michel Blanc) dans les Bronzés font du ski
















Le 8 mai 1945 commémore la victoire des Alliés sur l'Allemagne nazie et ainsi la fin de la Seconde Guerre mondiale, marquée par l'annonce de la capitulation de l'Allemagne.

Ce jour est appelé par les Anglophones le "VE Day" pour "Victory in Europe Day".


Annonce de la capitulation de l'Allemagne


En ces temps de commémoration et de souvenir, j'aurais aimé que "paix" provienne d'une lointaine racine proto-indo-européenne signifiant le calme, l'équilibre, la sérénité, voire l'Origine, l'Unité primordiale...

Eh bien, non !

Il faut se rendre à l'évidence.

La paix, étymologiquement, n'est qu'un pacte, un traité conclu à l'issue d'une guerre.

Point final.


"Paix" provient du latin pax/pacem : la paix, provenant lui-même du verbe latin pango (à infinitif : pangĕre, au parfait : panxi, au supin : pactum).

Pango, quant à lui, voulait dire "enfoncer, ficher, planter".
Mais aussi, dans le sens qui nous intéresse, "conclure".

J'avoue qu'au premier abord, on peut ne pas percevoir pourquoi à un même mot s'appliquaient des définitions sémantiques aussi disemblables que "conclure" et "enfoncer, enficher".


Jean-Claude Dusse n'aurait peut-être pas hésité à faire ce lien qui m'échappe?

Quoi qu'il en soit, il y a bien une explication, que je vous livre ici :

"conclure", comme acception du verbe pango, doit se comprendre comme "établir par une convention, stipuler, s'engager à, promettre".

"Conclure une affaire", "s'accorder sur quelque chose", donc.

- Mais Holmes, je comprends donc ainsi que pango est à l'origine de Paix, dans le sens d'"engagement qui nous lie".

Mais je ne vois toujours pas pourquoi ce même mot pango revêt ces sens si disparates.
Où voulez-vous en venir ?

- Elémentaire, mon cher Watson :

"Conclure une affaire", en ce sens - vous en convenez donc - c'est se lier, par un contrat, par un serment, par la parole donnée.

Tout s'éclaire quand l'on sait que la racine proto-indo-européenne à l'origine de pango, c'est *pag- (aussi retranscrite *pehg-).

*pag- véhiculait certes l'idée d'enfoncer une pointe, de planter (un pieu...), d'enficher, mais - et voilà la clef! - dans un but précis, celui d'"attacher", de "fixer", "de faire une jointure". De lier, de relier. 


La plus belle image qui me vient à l'esprit, c'est celle du pêcheur ramendant son filet.
Il enfonce une pointe, une aiguille, pour resserrer, pour raccomoder, pour lier, pour réparer.

Ramendage d'un filet


Le "pacte", mot directement issu du supin de pango : pactum, est donc étymologiquement ce qui nous lie, ce qui nous tient ensemble.

La paix n'est donc, étymologiquement, que la conclusion d'un traité, d'un accord qui nous lie.

La notion de paix est ainsi étroitement liée à celle de guerre, puisque par définition, il ne peut y avoir de paix conclue sans guerre préalable !

Ainsi va l'Humanité...



*pag- nous a donné l'ancien grec πήγνυμι, pêgnymi : ficher, planter, fixer.

Mais aussi l'anglais fang : le croc. L'on y retrouve bien l'idée de pointe acérée.


Sur *pag- s'est également formé un autre mot anglais : peg - patère, pince à linge, piquet.
To peg c'est attacher avec des épingles, fixer avec des piquets...





Tiens, dites-moi, pour vous, le terme "fugue" - la forme musicale - il provient de l'italien "fuga", le vol, non ? 

Car il s'agit de plusieurs voix qui se poursuivent, qui se cherchent, qui virevoltent... Hein hein ???

Extrait du manuscrit de l'Offrande musicale, J-S Bach


Oui!

Mais en allemand ... il y a deux Fuge...

Le premier est cet emprunt à l'italien fuga, évidemment utilisé dans le vocabulaire musical, mais ... le second nous vient, lui, par le vieux haut-allemand
{Althochdeutsch - la plus ancienne forme écrite de la langue allemande dans la période de 750 à 1050 environ}
fuogen

via le proto-germanique
{ou germanique commun, à l'origine supposée de toutes les langues germaniques}
*fōgijanan,

de notre brave racine proto-indo-européenne... *pag- ...

Fügen, c'est ajuster, joindre, ajouter, adapter, se conformer.





La "Badinerie" par les Swingle Singers :
'y'a pas mieux que la voix humaine pour faire entendre
les différentes voix musicales dans un morceau de Bach !



Ah Bach !!



"A entendre la musique de Bach, nous aurons l’impression (pour le dire à la manière élevée de Goethe) d’être présents au moment même où Dieu créa la monde" 
Friedrich Nietzsche,  Le Voyageur et son ombre

"S’il y a quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu."
Emil Michel Cioran

"Dieu aime Mozart par plaisir et Bach par reconnaissance"



Bon c'est pas tout ça. Et la guerre, alors ?

"Guerre" vient, par le francique *werra, de la racine proto-indo-européenne *wers-, associée à la notion de "confusion", de "mélange", de "trouble."

*wers- a naturellement donné l'anglais war - la guerre (nous retrouvons à nouveau ici la résultante de cette loi de transformation consonantique débouchant sur un "g" dans les langues romanes et un "w" dans les langues germaniques: Galles/Wales, Guillaume/William garde/watch, gaulois/wallon...).


Quoi de pire que la guerre ?

Ben pas grand-chose, et l'étymologie nous le confirme : l'anglais worse (pire, plus mauvais, plus mal) provient du proto-germanique *wers-izon-, qui n'est que le comparatif de la racine *wers-.

Et worst (LE pire, LE plus mauvais, LE plus mal) provient du proto-germanique *wers-ista-, le superlatif de cette même racine *wers-.


Mais comme souvent, il y a toujours du bon à prendre, même dans le plus mauvais...

Et *wers- ne fait pas défaut à la règle.


Car dans son acception de "mélange, mixture", nous lui devons l'indispensable allemand ... Wurst.


La saucisse. 

Wurst


Notons que le français "saucisse", lui, nous vient du latin salsīcia, pluriel neutre de salsīcius : "assaisonné avec du sel", dérivant du latin salsus : salé, de sal : sel.

Sal, dérivé, EVIDEMMENT, du proto-indo-européen *sal-, le sel...




"Sans musique ni saucisse, la vie serait une erreur." 
Friedrich Nietzsche & (und) Friedrich Blondieau




Frédéric


article suivant : 
des fjords à l'Euphrate


7 commentaires:

Maite Jiménez a dit…

Mi única pena es no haber querido estudiar francés nunca, y ahora lo lamento. Porque me gustaría penetrar del todo en el contenido de tus magníficos post. Siempre he sido tan germanófila, anglófila e italianófila, que tengo esa asignatura pendiente. Gracias por tu trabajo. Muchos lo disfrutan. Un abrazo.

Frédéric Blondieau a dit…

Maite, si hay pasajes que no entiendes, dime! Puedo tratar de traducir...
Gracias! Un abrazo para ti!

Language Continuity a dit…

Bonjour Frederic. Les articles de ton blog sont très très interessants. Félicitations!

Dans l'article d'aujourd'hui il y a une explication etymologique qui n'est pas claire pour moi: celle de "Fuge". Je dirais que ce mot vient du latin, pas du germanique. L'allemagne l'a emprunté du latin.

Frédéric Blondieau a dit…

Bonjour Jesús,
Tout d'abord, grand merci!!

Pour ce qui est du mot "Fuge", c'est ce que je pensais aussi. Comme tout le monde! Avant de m'intéresser à *pag-...
En allemand, le terme "Fuge" ne s'emploie qu'en musique.
Pour parler de la fugue (la fuite) de quelqu'un, on dira - si j'en crois les dictionnaires en lignes! - Ausreißen ou Verschwinden.
Alors que le verbe fügen signifie bien "joindre", "se soumettre à", "se plier". Un peu comme l'anglais "to comply": se conformer. Il y a donc pour moi peu de chance que le verbe fügen vienne du latin fuga.
Et en réfléchissant aux différents sens de fügen, il m'apparaît de plus en plus clairement qu'ils correspondent beaucoup mieux à la définition d'une fugue (musicale), que "fuga", qui n'évoque finalement qu'une fuite. C'est peu de choses par rapport à la construction complexe qu'évoque fügen.
Je pense donc que même si l'allemand a repris du latin fuga (peut-être même par l'italien?), le verbe allemand fügen correspond plus à la définition d'une fugue musicale. Et que c'est lui qui a donné "Fuge".
On peut aussi parfaitement imaginer qu'il y ait eu confusion, superposition des deux sens/origines...
Mais pour moi, au vu des différents sens du verbe fügen, il n'y a plus de doute, quand on parle d'une "fugue", on parle plutôt de voix qui se conforment à un grand dessein plutôt qu'à des voix qui se fuient...

Bien à toi,
Frédéric

Frédéric Blondieau a dit…

PS: Jesús! Et ton blog est particulièrement intéressant!!! :-)

Language Continuity a dit…

Merci!

Il y a beaucoup de mots musicales qui proviennent de l'italien, un de ces mots est sans doute "fuga", qui vient du verbe latin 'fugere'. La signification originelle de ce mot, dans le terrain musicale, n'est pas necéssairement la même qui nous est arrivé à travers la musique barroque, où le terme "fugue" ou "fuge" se correspond à une forme particulière de composition musicale. Il faut faire la distinction entre le sens original et l'evolution posterieur des mots. Mais oui, peut être les allemands du temps du Barroque ont pensé qu'il y avait un rapport entre "Fuge" et "fügen", ceux qu'on appelle "etymologie populaire".

Et pardonnez-vous mon français!

Frédéric Blondieau a dit…

Oui, c'est tout à fait possible!

Et plutôt que te pardonner ton français, je t'en remercie! :-)

Tengo tambien que mejorar mi espanol: estudié espanol hace mucho (demasiado?) tiempo... Lo entiendo bien, pero hablar o escribir es otra cosa...