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dimanche 26 janvier 2014

au séminaire, du colza on n'en mange qu'une fois par an




Bonjour à toutes et tous!

Nous venons de consacrer deux dimanches à la notion de temps vue par le prisme du proto-indo-européen, avec le mot français temps, et le mot anglais time:
Avez-vous le tempérament pour jouer du Bach? et le démagogue est en quelque sorte le démon de la démocratie.


Pour rappel, nous avions également passé un peu de temps sur l’idée du temps comme cycle dans du passage des ans, où nous avions découvert les racines se cachant derrière (notamment) janvier et solstice

Eh oui, le temps passe, c’était déjà en décembre 2011!

Mais arrêtons-là toute tentative de nostalgie mal à propos.


En CE dimanche, ici et maintenant, je vous propose de continuer sur notre lancée, et de nous pencher sur quelques mots qui nous permettent toujours d’exprimer le passage du temps, et donc la division du cycle, le cycle étant probablement ce qui correspondait le mieux à la notion de temps chez nos lointains, lointains ancêtres…


Chronos et Gaia, tout est là!


Commençons par le mot an (ou année):

Comme vous le savez, année, ou an, nous viennent du latin annus (avec deux n): an.
Et notre annus, ‘i’ vient d’où?

Ben oui!

D’une racine proto-indo-européenne; j’ai nommé:

*at-


Qui n’avait en fait, je dois bien vous l’avouer, rien à voir avec “an”.

Elle véhiculait plutôt la notion d’”aller”.

Ce sont essentiellement par le proto-germanique et le latin qu’elle a essaimé, et précisément via une forme suffixée *at-no-.
C’est sur elle, donc, que s’est construit le latin annus.


Chouette photo de Lino Ventura et Françoise Fabian
dans La Bonne Année, Claude Lelouch, 1973


Alors, quel est le lien entre “aller” et “an”?

Nos lointains ancêtres, qui étaient loin d’être les sombres crétins préhistoriques que certains dépeignent encore, savaient ce que c’était qu’une révolution, un cycle.

Ils avaient en tout cas clairement capté que l’année, c’était un laps de temps qui s’écoulait et recommençait.
C’est donc cette idée de mouvement perpétuel, cyclique qui transparait derrière cette racine verbale *at-, aller.

D’ailleurs, c’est pas difficile, le latin annus, outre année, nous a aussi donné… anneau!
Anneau, du latin annelluschainon », « bague ») ou annulusbague »), mais dans tous les cas, diminutifs de annus.

Plus de pleurs, plus de heurts:
voici le Remember Ring, l'anneau qui vous rappelle le
jour de votre anniversaire de mariage!


Car oui, annus, c’était l’année, mais aussi le cercle!
Et soit dit en passant, le mot pouvait également être employé pour désigner une longue période de temps; nous parlerions d’une ère

Bon, sur annus nous avons créé plein de mots, que vous connaissez évidemment: annuel, annuité (somme d'argent versée annuellement par un emprunteur pour rembourser une dette), anniversaire, biennale, millénaire, quinquennal, etc.

Mais sachez aussi que sur annulus, et plus précisément sa forme suffixée annularius, nous avons créé annulaire, le doigt, littéralement, aux anneaux. Le doigt qui les porte.

Ouais, ça vous saviez!
Mais … pourquoi mettre les anneaux (de fiançailles, de mariage) précisément à CE doigt??

Ah!

Tout simplement parce que les médecins antiques pensaient qu’une veine, la vena amoris, reliait directement ce doigt au coeur

Oh c’est tout mimi, la veine de l’amour!


Allez, - soyons fou - un autre mot: saison!

Saison nous vient de la racine proto-indo-européenne...

*sē-1

Signification? Il s’agissait d’une racine verbale, à traduire littéralement par … semer!

C’est une forme de *sē-1 au degré zéro et dupliquée: *si-s(ə)- qui a … ensemencé le latin serere: semer.


Quant à notre français saison - je cite ici le wiktionary -  il nous arrive du latin satiōnem, accusatif de satiō « action de semer, de planter, semailles », formé sur le supin satum de … … serere, évidemment (« semer », ‘faut suivre, hein?).


Le semeur, James Tissot


Alors, oui, je sais: “mais comment est-on passé de 'semer' à 'saison'?

Par extrapolation.

Le latin classique satiōnem a fini par désigner, non plus les semailles en tant que telles, mais, par la force des choses “le moment de l’année propice aux semailles”.

Et de là, le mot en est venu à désigner tout moment, toute saison favorable à faire quelque chose, d’une façon générale, sans plus de relation avec les semailles ; chaque période de l’année étant propice à des activités particulières…
A toute chose sa saison, et à toute affaire sous les cieux, son temps…

Sur le latin serere et ses dérivés se sont souchés des mots comme semer, évidemment, ou semence, disséminer, inséminer, les anglais seed (semence) ou season (saison) mais aussi…

Séminaire!
Du latin seminariumpépinière »), de semengraine »).

Le séminaire: une pépinière de jeunes talents!

Et donc, NON, ne succombez pas à cette légende urbaine selon laquelle séminaire viendrait de l’anglais semensperme »), même si les récents (?) scandales ayant éclaboussé l’Eglise Catholique pourraient sembler attester (je suis prudent) que les anciens du Séminaire savent manier autre chose qu’un goupillon, et pas toujours le leur.

Notez, je dois vous l'avouer, j'avais pensé à "se faire assaisonner l'anneau par un séminariste" comme titre à ce billet, mais bon, comme vous l'aurez déjà lu, j'ai fait preuve de grande lâcheté avec ce gentillet "au séminaire, du colza on n'en mange qu'une fois par an"...


Professeurs du Petit Séminaire de Chavagnes, 1954



Colza!
Colza nous arrive du moyen français colzat, lui-même issu du néerlandais koolzaadsemence - ou graine - de chou »).
Cette plante annuelle à fleurs jaunes appartient d’ailleurs à la famille des Brassicacées, au même titre que les choux, navet, moutarde, raifort ou cresson


Colza (vous vous attendiez à un champ de lavande?)


Et aussi…
assaisonner!

Et oui, bien sûr, ça parait aller de soi: assaisonner vient de saison!
Mais encore une fois, quel est le rapport???


Nigella Lawson rectifiant un assaisonnement.
Parfois, il y a des avantages à être un légume

Vous devez savoir que (merci le Wiktionary) le sens premier d’assaisonner, c’était « disposer, régler selon la saison ».
Le verbe s’appliquait en particulier à la conduite des cultures.
Il pouvait également signifier « cultiver en saison propre, mûrir à temps ».

C’est ainsi que dans un texte du XIIIème siècle, on trouve la mention de “viande assaisonnée” mais dans le sens d’aliment cuit à point: “à temps, juste comme il faut”, sorti du four au bon moment

Quand, plus tard, ce verbe entrera dans le domaine culinaire, il signifiera « mettre à point pour le goût à l’aide de certains ingrédients », et ça, c’est Littré qui nous le raconte…

Et notez que l’anglais season, basé comme tellement de mots anglais, sur le français, désigne tant le substantif saison que le verbe assaisonner


- Bon, et mois?
- Mois?? Mais enfin, nous en avons déjà parlé?!

Dans lune, lumière et mesure!


- Jour, alors??
- Jour, mmmh?

Ben tu cliques ici mon coco, et tu lis: By Jove, Olrik.

Je ne vais quand même pas faire une version spéciale Mal comprenants du dimanche indo-européen rien que pour toi, quand même?

Et pour ce qui est de jour en anglais: day, c'est ici que ça se passe: Daisy au Bundestag


- Euh ... OK, alors... Heure?
- Eh bien, OUI, il y a des choses à en dire, le mot français étant apparenté, par sa racine proto-indo-européenne, à quelques autres mots dans d’autres langues, qui n’évoquent pas nécessairement la notion d’”heure”….

Pom pom pom…

Je n’en dirai pas plus, du moins aujourd’hui!

Tout ça - et la suite, car on n’en a pas encore fini avec le temps - ce sera pour dimanche prochain!




Je vous souhaite à toutes et tous un excellent dimanche,
Je souhaite en particulier à certain(e)s - qui se reconnaîtront - un agréable lendemain de Burns Night.

Chez nous, nous fêterons Rabbie Burns samedi prochain!
Whisky, Haggis, Pipes & Kilt...



Passez une bonne semaine, et… à dimanche prochain!


Frédéric


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