- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 5 janvier 2014

"comme le papegeai, mal, à maquette" = blasphème


article précédent: link



"Le filet du ciel est immense et ses mailles sont écartées,
mais il n'y a pas un méchant qui puisse l'éviter."

Lao Tseu




Pamina
Un homme qui ressent l’amour
ne peut manquer de bon cœur.

Papageno
Partager le doux sentiment est alors
le premier devoir d’une femme.

Ensemble
Nous voulons chanter la joie de l’amour,
nous vivons par l’amour seulement.

Pamina
L’amour adoucit chaque peine,
toute la création se voue à l’amour.

Papageno
Il donne du sel à chaque jour de notre vie
et fait tourner la roue de la nature.

Ensemble
Son but le plus élevé, il le révèle clairement:
rien n’est plus noble que mari et femme.
Mari et femme et femme et mari
atteignent à la divinité.

Traduction française du duo Mann und Weib
Die Zauberflöte

Schikaneder & Mozart




Bonjour à toutes et tous!

Avez-vous bien passé le cap? Je l’espère de tout coeur.


J’avais terminé l’année en vous laissant hagards, pantois, devant l’annonce de ce qui allait suivre!
La suite de l’article sur “link”, bien sûr, qui s’intéresse à présent à l’équivalent français de link: le… maillon!




Bon, enchaînons donc avec ce premier dimanche de l’année 2014!


Le mot français “maillon”: noeud, petite maille, ou encore anneau d’un câble, ou d’une chaîne, vous le savez, dérive du mot maille.

Fin du XIème, nous savons que maille s’emploie pour une taie dans l’oeil: cette tache blanche qui se forme parfois sur l’œil des suites d’une blessure ou d’une inflammation.

Nous retrouvons d’autres occurrences plus tardives du mot, où il désigne alors une moucheture sur le plumage d’un oiseau, ou encore l’anneau d’une chaîne, ou même le trou formé par chaque maille… … …

Tiens, à propos de la maille comme moucheture, nous connaissons toujours le papegeai maillé!

Un papegeai solidement maillé, à la limite
de l'indécence


Et c'est sur papegeai, ou plus précisément son équivalent allemand papagei, qu'Emanuel Schikaneder, le librettiste du singspiel "Die Zauberflöte" ...

- au titre honteusement, stupidement, imbécilement, monstrueusement mal traduit par "La Flûte enchantée!" (Il faudrait plutôt dire "La Flûte ensorcelante", "La Flûte magique", ou pourquoi pas, "La Flûte charmeuse": c'est ELLE, la flûte, qui enchante, pas l'inverse, b*l de m. - oui, ça me rend dingue!), mais soit - 

... a créé le nom de son personnage Papageno et de son contrepied féminin Papagena...

Papagena & Papageno

Adorables mortels, pleins de vie et d'amour, mais sans aucune intériorité: seulement capables d'imiter sans comprendre, comme de vulgaires perroquets...

D'ailleurs, ils annoncent la couleur: la seule chose qu'ils veulent faire, c'est se reproduire...



Le célèbre duo de Papageno et Papagena


(Mais soyons bons pour Papageno: c'est quand même quand il chante en duo avec Pamina - l'équivalent "profond" de Papagena - qu'il nous offre l'un des plus beaux morceaux de musique que l'oreille humaine puisse entendre, au texte d'une beauté simple et absolue...)



Mann und Weib
("Bei Männern, welche Liebe fühlen")


Peut-être Schikaneder et Mozart ont-ils voulu montrer par là que par l'entremise de la femme accomplie, l'homme pouvait espérer quitter sa matérialité et atteindre à des niveaux supérieurs?

Ou que l'Homme (donc l'Humain) doit réconcilier en lui ses pôles pour gagner l'Harmonie...


Bon, rematérialisons-nous.


Et maille, il vient d’où?

Du latin! Et précisément de macula.
Macula, à l’origine, c’est la tache, puis par la suite la maille de filet.

Curieux? Oui et non, le trou formé par la maille formant en quelque sorte une tache


En tout cas, jusque là, tout le monde est d’accord, et l’étymologie de maillon / maille peut être retrouvée sans heurts…

Mais voilà! A partir d’ici, ça se complique 'achement…


Deux possibilités s’ouvrent à nous!


Soit, 1ère option:

Le latin macula (non, vous ne m’aurez pas à des jeux de mots graveleux) est vraisemblablement une variante d’une forme *malocula, malcula, diminutif d’un substantif *mala qui n’a pas survécu.

Et NON, malocula n’est pas le douloureux constat d’un rapport postérieur non souhaité. NON, vous ne m’aurez pas à ce jeu-là.

Et le disparu *mala provient de malus (eh oui! mal, mauvais, méchant!), dérivé de la racine proto-indo-européenne...

*mel-5: faux, mauvais, mal



Soit, 2ème option:

Le latin macula est un lointain dérivé de la racine proto-indo-européenne...

*smē-: enduire, maculer



Les DEUX options sont possibles, et personne, à ma connaissance du moins, n’a encore vraiment tranché…


Alors, 1ère option: macula dérive de *mel-5:
Cela impliquerait que le mot serait cousin de … mal, malice, malin, malentendu, malversation...

Et de macula, évidemment!

(NON, j’insiste, macula ne désigne pas non plus un lointain cousin de Dracula, un vampire pervers qui ne s'attaquerait pas qu’à la nuQUE). Je commence à en avoir assez de vos grivoiseries!

La macula, dépression située à la partie postérieure de la rétine, aussi appelée “tache jaune”.

macula



Nous connaissons encore maculer, et bien entendu, ce qui est sans tache: immaculé

Mais c’est pas vrai?? NON, immatriculé ne veut pas dire immaculé trois fois. Je vous préviens, je vais arrêter!


Mais saviez-vous que de *mel-5 nous arrive également …

maladie!

Maladie, mot dont on retrouve une occurrence en 1225, est bien entendu basé sur malade.
Malade, quant à lui, est issu du bas-latin *male habitus (“mal fichu”).


C’est aussi *mel-5 qui serait à l’origine de blâme, et de blasphème!, tous deux provenant du grec ancient βλασφημέω, blasphêméô (« médire, maudire »)

Pour les anciens Grecs, le blasphème, c’était une parole de mauvais augure, ou qui ne pouvait être prononcée dans le cadre d’une cérémonie religieuse.

On soupçonne qu’à l’origine du grec ancient βλασφημέω, blasphêméô se trouve une variante suffixée de la racine *mel-5 au degré zéro (*ml̥-s-): *mls-bhā-mo-, dont la signification littérale aurait été “parler mal, dire le mal”.

Oui, *bha- c’était parler; vous le savez toutes et tous depuis que vous avez lu parole: préhistoire avec plutôt qu'histoire sans!




Life of Brian, Stoning scene
(la scène de la lapidation), 
Monty Python, 1979



2ème option?
Si maintenant le latin macula provient du proto-indo-européen *smē-, ce serait vraisemblablement à partir d’une forme au degré zéro de la racine, *smə-, suffixée pour donner *smə-tlā-.

Et alors notre maillon serait toujours un cousin de macula / immaculé …, ainsi que de maillot, soit dit en passant, mais il serait aussi apparenté à …







maquette!

Maquette est un mot relativement récent (1752), repris de l’italien macchietta: l’ébauche, lui-même diminutif de macchia, la « tache », basé donc sur le latin macula

- Une tache pour une ébauche???
- Ben oui! Vous trouvez que brouillon c'est plus malin?

Maquette


Encore quelques dérivés du latin macula, qu’il provienne de *mel-5 ou de *smē-?


Apparenté à maille / maillon est le mot trémail: un filet de pêche passif, attaché au fond de l’eau, dans lequel les poissons ou crustacés viennent se prendre…

Trémail
Les drapeaux de signalisation ne sont hélas pas pour les poissons


Et puis, en héraldique, on parle aussi de … macle!

La macle est une marque, une maille en losange, représentant, stylisée, une maille de cotte d'armes de chevalier.

L'écusson de Rohan:
De gueules,
à neuf macles d'or.
 "Roi ne puis,
Prince ne daigne,
Rohan suis."


En cristallographie, on désigne également par macle - le terme en serait repris de l'héraldique - une association orientée de deux ou plusieurs cristaux identiques, dits individus, reliés par une opération de groupe ponctuel de symétrie.

macle (pyrite)


Quant à l’expression “avoir maille à partir”, sachez qu’elle fait référence à la maille, ou obole, une pièce de monnaie française du XIVe siècle, et qui ne valait pas tripette!

Elle valait en effet 1/2 denier, ce qui en faisait la plus petite pièce de monnaie - en valeur - du système monétaire de l’époque!

On la reconnait à la croix frappée au centre d'une de ses faces.

Maille


Partir” signifiait encore à l’époque “partager”.

Partager une maille, mais c’était forcément impossible, puisqu’il n’y avait pas plus petit!

Et donc, l’expression dit bien ce qu’elle veut dire, en s’employant à propos d'un différend impossible à trancher lors de disputes mesquines.


Et nous avons toujours aussi l’expression « Avoir ni sou ni maille », éloquente.


Mais dans le cas de la monnaie, maille n’a RIEN A VOIR avec notre macula:

Eh oui, la maille doit son nom à l’italien medaglia.

Oui, qui donnera médaille!

La médaille est donc bien une pièce d’un demi-denier; son nom provient du latin médiéval *medalia, désignant une mesure de capacité, lui-même étant issu par dissimilation de *medialia, pluriel neutre pris comme féminin singulier de medialis, « qui est au milieu ».

Ah vous voulez des médailles???!



Ah oui, et ni émail ni émailler ne viennent de maille / macula ; ils nous arrivent en réalité d'une autre racine proto-indo-européenne: *mel-1.

Oui, intéressante aussi, *mel-1.... Elle sera le sujet d'un dimanche à venir...





Bon dimanche à toutes et tous!

A vous toutes et tous, une bonne semaine, et une bonne année surtout!

Et... à dimanche prochain!


En ce qui nous concerne, la semaine prochaine, nous parlerons de, voyons...
Eh ben je ne suis pas encore vraiment fixé, ce sera donc une surprise!





Frédéric


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