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dimanche 26 juillet 2015

I dannae if she can take any more, Captain!






I dannae if she can take any more, Captain!

Scott(y) au Capitaine Kirk
Star Trek, 1ère série

(proposition de traduction :
"Je n'sais pas si elle va encore tenir le coup bien longtemps, Capitaine !")

PS : un vaisseau en anglais (a ship) est féminin.
Elle, c'est l'Enterprise !

Scotty sur son transpondeur





















Bonjour à toutes et tous !


Dimanche dernier, ce 19 juillet, nous avions parlé de l'étymon germanique *wrib-, dérivé de la grande...

*wer-3 (tourner…).


Puis, il y a eu le 21 juillet ! Notre fête nationale, à nous les Belges ! 

C’était il y a 184 ans, le 21 juillet 1831, que Léopold de Saxe-Cobourg prêta serment sur la Place Royale, à Bruxelles, devenant ainsi le premier Roi des Belges (et non de Belgique, nuance !).

Place Royale

PS: chez nous, on dit BruSSelle, pas BruKSelle
Sans rire, vous prononcez six siKS, dix diKS ? 
Ben alors ? Et Auxerre ? AuKSerre peut-être ?  
Hormis pour les BCBG ucclois qui sont très probablement les seuls Belges, et ironiquement les seuls Bruxellois à prononcer le X de Bruxelles comme un /KS/ - et qui à mon sens DOIVENT continuer à dire BruKSelle, ne fût-ce que parce que d’abord ça fait rire tout le monde, et qu’ensuite on sait ainsi à qui on a affaire quand ils n’ont malheureusement pas leur pull négligemment noué sur les épaules, leurs Ray-Ban accrochées par une branche au col en V de leur Lacoste (Madame portera plutôt ses Ray dans les cheveux) ou qu’ils ne sont pas au volant de leur Cayenne entre Uccle et Le Zoute -, 
sachez que ce “x” provient du latin (Bruxella), et ne s’est JAMAIS prononcé dans ce mot autrement que /S/.  JAMAIS.
Jusqu'à la Renaissance, où là, oui, le “x” a commencé à se prononcer /KS/.  
Mais Bruxelles est bien plus ancien, vous comprenez ? Hein ?
Alleeeeez dis, mais ça c’est hyyyyyper-cool ça dis ! (ça, c’est du ucclois BCBG typique)

à 00:36, une pas trop mauvaise imitation du parler ucclois BCBG.


(Fort Jaco, c'est leur lieu de rassemblement
à Uccle ; une sorte de réserve naturelle)
Je ne sais même pas si cette couverture est à
prendre au 1er ou au second degré??


Alors, OUI, Ooh !!
A l'origine de Bruxelles, il y a vraisemblablement le composé germanique
  • *brocca (“marais”) dérivé d'une racine propre au germanique (cognat du brook anglais), 
+
  • *sali (“bâtiment, chambre, chapelle ...”), issu lui-même du latin cella (qui a donné cellier, ou cellule), dérivé de la racine proto-indo-européenne *kel-2 (couvrir, cacher, conserver... 'faudra qu'on en parle un jour, de cette cocotte, elle a plein de choses à nous dire).
"Le bâtiment, le peuplement dans les marais", que ça devait vouloir dire, ou quelque chose du style.

Moi j'aime bien "la chapelle des marais", dans la mesure où l'on sait que Bruxelles s'est construit à partir de son centre sacré, sur l'île Saint-Géry.
(relisez les principes traditionnels de construction d'une ville : A un carrefour, contrecarrer un escadron!? Mais quelle carrure !)

Et aujourd’hui donc, que le Royaume de Belgique a un an de plus, et que vous savez enfin qu’il convient de prononcer Bruxelles "BruSSelle" ...
- sauf si vous êtes bobo ucclois, je le répète - auquel cas, pour vous convaincre de continuer à bien prononcer ce /KS/, je vous dirai que le x prononcé /KS/ est bio, qu'on peut en trouver au marché de la Place du Châtelain
(Pour les non-Bruxellois: probablement le seul marché au monde où les produits sont - nettement - plus chers qu'au détail),
et que chaque fois que vous prononcerez BruKSelle, vos a-do-ra-bles Delphine et John-Alexander gagneront un cocktail de légumes (frais, issus de l'agriculture responsable) (allleeez dis, c'est trop coool!) à déguster lors du gala de clôture de l'année scolaire organisé par leur école avant le voyage à L.A. ("Elllééééé") -
Delphine et John-Alexander vont vraisemblablement
à l'ISB (International School of Brussels)

Aujourd'hui, donc, ... nous allons parler de la racine proto-indo-européenne

*werb- (ou werbh-)

Tourner, plier, courber
Ouais, comm’ d’hab, je n’aurai pas beaucoup mieux à vous proposer comme sens.

Et bien entendu, je ne vous le préciserai pas, *werb(h)- descend de notre super-racine *wer-3.

- Ouais, sauf que là, tu viens de le préciser.
- Mais enfin, mais non !

Allons-y !

*werb(h)-, elle se retrouve tout d’abord en proto-germanique.

Précisément dans le verbe *werpan- : “courber, fléchir, voire ployer”.

Le mot voulait aussi probablement dire lancer.
Oui, lancer par un mouvement circulaire du bras, ou à l’aide d’une fronde.
Il pouvait encore signifier bander un arc. (ici, c'est l'idée de courber qui prédomine)

Vous voyez le concept.


Notre *werpan- germanique a donné naissance au vieil anglais weorpan, jeter (au loin).

Et ce dernier s’est transmis en anglais moderne, sous la forme … warp.

Warp, en anglais, c’est plein de choses. Vraiment!
Je ne passerai pas tous ses signifiés en revue, loin de là !

Mais sachez déjà qu’une acception obsolète du verbe signifiait précisément jeter, lancer

Mais warp c’est aussi tordre, courber un objet pour le contraindre ainsi à une autre forme, le déformer, donc. Le gauchir.

Warp, en tant que substantif cette fois, c’est donc en quelque sorte aussi la courbure, la déformation, la distortion ! 

Eh, difficile de parler de warp sans parler de, de …



...l'USS Enterprise, NCC-1701, magnifique vaisseau de la classe Constitution, mû par un système de propulsion à distorsion, le warp-drive…

Mine de rien, son moteur à distorsion lui permettra
-  remarquez le subtil usage de ce futur historique, ou futur de narration ; le starship ("astronef", "vaisseau spatial", "vaisseau inter-sidéral"?) ne sera en service qu’entre 2245 et 2285 -
d’atteindre des vitesses de l’ordre de warp 2 en croisière, de warp 6 en mode soutenu, ou même de pousser jusque warp 8, voire 9 ! (mais en prenant de très sérieux risques, je vous l'accorde).

(je parle évidemment ici, à nouveau, du vaisseau du Capitaine Kirk, du moins celui de la série originale de Star Trek, de la fin des années 60, faudra vous y faire)


Space, the final frontier...


Nous retrouvons encore notre racine *werb(h)-, toujours via le germanique *werpan-, dans le scots warp (“jeter, lancer”), l’allemand werfen, de sensiblement le même sens, ou encore…
le néerlandais werpen, toujours de même sens.


Les plus subtils - et les plus Belges - d’entre vous auront probablement déjà compris où je veux en venir…
Awel (bruxellois) / didjoss (wallon), il nous bassine avec la prononciation correcte de Bruxelles, sans qu’il y ait vraiment de lien avec la racine du jour, puis nous sort le néerlandais werpen, c'est donc que…”
Mais oui !

Il y a au moins deux noms de ville belges que nos amis Français ont bien du mal à prononcer.
(NON, Maastricht, c’est aux Pays-Bas ! Relisez donc le sublimissime Tu quoque, Brutis, belli-fili mi)

Noon, je parlais de Bruxelles, bien sûr, et … d’Anvers !

Eh NON, on ne dit pas Anverre, ni même Anvereuh.

NON. Vraiment. Croyez-moi. NON.

N - O - N.

Faut arrêter.

AnverS, et en néerlandais: Antwerpen.  (non, celui-là, n'essayez même pas)

Anvers (source)


Si je cite Anvers ici, c’est qu’il se pourrait (mais bof bof) que le toponyme Antwerpen vienne, pour sa seconde partie, du néerlandais werpenjeter”.

Comme à tout bon Belge, on m'a inculqué dès mon plus jeune âge que Antwerpen c’était
Ant - la main (hand en néerlandais) jetée (werpen, jeté(e) en néerlandais, évidemment), "la main jetée",
toponyme associé à la légende du légionnaire romain Brabo qui tua le géant Druon Antigone précisément à … Anvers.

(Oui, après avoir tué le géant, il lui trancha la main et la jeta dans le fleuve)

Statue de Brabo jetant la fameuse main,
à Anvers (source)


En fait, il semblerait que ça n’a strictement aucun rapport, que le nom Antwerpen viendrait peut-être de “an't werf”, autrement dit “aan het werpen”: “sur le quai (la jetée!)” (équivalent étymologique et sémantique du wharf anglais).

Encore mieux - et il s’agirait ici de la théorie la plus sûre et la plus à jour sur l’origine du mot -, Antwerpen dériverait du nom d’une tribu celte qui vivait par là : les Ambidouesreipi, où...
  • la première partie du mot, ambidoues signifiait “les deux” (pensez au “ambos/ambas” espagnol, au “both” anglais, tous deux du proto-indo-européen *ambhō- "les deux" et 
  • la seconde, reipi, désignerait - je suis prudent, je n'ai pas trouvé de confirmation satisfaisante à cela - l’embarcadère, ou le côté, dans ce cas précis la rive (du fleuve).

Les Ambidouesreipi auraient ainsi été “ceux qui vivaient le long des rives (de part et d’autre) du fleuve”… 


Quoi qu’il en soit, c’est AnverS, ou encore mieux, Antwerpen.

Ou alors, on dira PariSSS.

A vous de voir.


Allez, on poursuit.

Comme souvent, une forme germanique se retrouve en francique.
Ici, *werpan- est devenu le francique *werpjan-, de même sens (jeter, lancer...)

Devinette !

Le mot est passé au français, et vous le connaissez !

Neuf indices, neuf pas pour vous rapprocher de la réponse...

9. A l'origine, en ancien français (1050), le mot hérité du francique signifiait non plus vraiment jeter, mais plutôt, dans un sens imagé, "renoncer à la possession (de quelque chose) ".

8. Le mot disparut du français en tant que tel, mais continua cependant à être utilisé, cette fois sous une forme préfixée, précédé par un dé- (et ce vers 1120).
Ce dé- pour vraisemblablement indiquer l'idée de dépossession, de départ, d'abandon, pourtant bien présente dans le mot d'origine, mais qu'on avait un peu perdu de vue...!
7. Et donc, ce mot, affublé d'un préfixe dé-, et transitif à ce moment, s'utilisa en droit (XVIème) ou en emploi absolu (avant 1617), pour toujours signifier "abandonner (une possession)".

6. Alors, une idée??? dé-werpjan ??

5. Remplacez la terminaison propre à un verbe francique -jan par une terminaison plus française...

4. Et rappelez-vous qu'un "/w/" germanique vaut souvent, en étymologie, un ... français

3. Allez, oui ! Comme dans l'anglais watch, et son équivalent français ...

Mais non, pas la montre ! Pensez au verbe ! To watch.

2. Oui? regarder / garder

1. Donc, notre mot pourrait être devenu dé - /g/ - erp + une terminaison verbale: -er, -ir...

YESSSS

0. Déguerpir !!!

Il en est arrivé à signifier abandonner, certes, mais un lieu, en se sauvant, par crainte.

Très fort, non ?

Auriez-vous cru que l'anglais warp et notre déguerpir avaient la même origine ??


La descendance de la racine *werb(h)- ne s’arrête pas là ! Que nenni !

Encore, au menu, du latin, du grec, du vieux slavon d'église (aaaaah), et du français ! 

Et quelques jolies surprises...

Mais voilà, c’est les vacances



Alors tout ça, ce sera … pour la prochaine fois !




Bon dimanche à toutes et tous ; surtout, passez une excellente semaine!

A dimanche prochain ?




Frédéric




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