- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 28 août 2016

“L'évident est journellement l'étendard des imbéciles. Le doute est la foi gênée de celui qui sait.” - Abraham Chlonsky





“Chaque poète se taille un langage dans le langage comme s'il découpait un étendard dans le parquet de l'univers, un tapis volant, un autre monde, un Mexique, un lexique. Mais c'est l'ensemble du langage ainsi, qu'il pervertit, déroute, exalte et restitue.”

Jacques Audiberti, La Jeune poésie et ses harmoniques 

C'est pas très gentil pour les poètes, j'en conviens.
Ni pour le Mexique, non plus, me semble-t-il.

Jacques Audiberti,
1899 - 1965
















Bonjour à toutes et tous!


En ce très beau dimanche, encore un mot dont on a attribué la paternité à notre *ten- bien aimée (“étendre, étirer”).

Et là, vraiment, je n’y crois pas.

Pas un seul instant.


Ah, ce rapprochement entre notre mot du jour et “étendre”, ou plus exactement avec le latin extendō, extendēre ...
- et donc par voie de conséquence avec la proto-indo-européenne *ten-, allez, on se réveille, on refait surface! -,

... date d’un temps où les linguistes francophones qui se passionnaient pour l’histoire de leur belle langue ne pensaient qu’à ses glorieuses racines grecques et latines.



Bien sûr, là, maintenant, en ces temps bien troublés …
- je pense particulièrement à cette volonté, dans l’Enseignement de la République Française, d’amenuiser la part consacrée aux langues anciennes, ce qui est évidemment une véritable calamité, et qui, ma foi, peut évoquer, sous un certain angle, l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie, du moins dans ses résultats, dans la perte de savoir qu’occasionnera à terme ce changement profond, supposé renforcer l’égalité au sein de l’Enseignement, et qui n’apportera vraisemblablement qu’un pauvre nivellement par le bas -
... nous ne pouvons que souhaiter le plus grand bien aux études dites “classiques”!

L'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie vu par Hermann Goll (1876)

Cette réforme de l'Enseignement en France me fait penser, tiens, à ce film... 
Vous avez vu “Idiocracy”, sorti en 2006? Bah, c'est pas un grand film, il faut bien le dire.
En gros, vous y trouvez ce qu’on appelle un beauf: un brave type, mais pas très malin, ni très cultivé, ni très éduqué.
Qui fait un bond dans le temps, et se retrouve dans notre futur. 
En toile de fond de ce film, une idée qui fait peur: “comme ce sont les gens les moins instruits - disons-le tout net: les plus bêtes, les plus crétins, les plus idiots - qui, statistiquement, font le plus de gosses, ben, le futur est à eux, par la loi du nombre”.
Et l’humanité devient, de génération en génération, de plus en plus ... stupide. 
Le beauf en question se retrouve ainsi dans une société future où le niveau d’intelligence a chuté à un point tel qu’il y passe pour un véritable génie.
L'affiche du film
Oups, ah non, je me suis trompé, ...

...la voilà!

Mais restons-en là.


Le mot que je vais bientôt vous dévoiler était supposé descendre de extendēre parce que, tout simplement, ce qu’il désignait, on … l’étendait.

Pour tout vous dire, cette extension, c’était ce pourquoi cet objet était fait.
C’était son emploi. Son but, même.

Une idée? Vous voyez de quoi je veux parler?
Ben oui, surtout si vous avez lu le titre et l'exergue, c'est malin.

Dans La Marseillaise, il occupe une place prépondérante.

Il est levé, et sanglant. En un mot.

Oui, l’étendard!

C’est vrai que “un étendard, c’est ce qui doit être étendu” (entendez fièrement porté, claquant dans le vent) ; ça paraît être une bonne définition de la chose, et une excellente source pour de l’étymologie populaire.

Étendard

Mais non, bien sûr.

Étendard ne vient pas du latin, mais du francique.

Oui, il s’agit d’un mot d’origine germanique.

Je ne veux pas être méchant, ni revanchard, ni rappeler certains pans de l’Histoire européenne récente dont le monde se serait volontiers passé, mais bon, il faut quand même reconnaître que, bien souvent, le vocabulaire militaire français est d’origine germanique.

Je vous renvoie à maréchal, par exemple!
la jument est ferrée, ou la maréchaussée? (très subtil jeu de mots franco-anglais)


Alors, étendard!

Première question: la différence entre “drapeau” et “étendard”.

Je vous laisse chercher?

J’ai demandé au Grand Robert en ligne ce qu’il en était.

Si jamais vous vouliez comme moi vous abonner au Grand Robert en ligne, sachez qu’en matière d’ergonomie, c’est ce qu'on appelle, en jargon d'informaticien, une vraie merde: dès que votre adresse IP change (ce qui arrive théoriquement une fois par 24h si, comme moi, vous disposez d’une connexion internet non professionnelle), il exige que vous vous reconnectiez, que donc vous retapiez votre nom d’utilisateur et votre mot de passe. 

C'est ridicule, c'est malvenu, et en plus c'est vraiment mal fichu: le lien fourni pour se ré-enregistrer ne fonctionne même pas. Grandiose.
Mais reconnaissons-le, en matière de foutage de g, là, respect, c’est une grande réussite.



C'est peut-être moi qui suis devenu si difficile, ma vie passée dans l’informatique me faisant voir les choses différemment.

Soyons positif! Je pourrais dire “mais quelle honte, un système pareil, mal torché, encore basé sur l’adresse IP du pauvre type qui s’abonne, en 2016”.




Alors que je pourrais parfaitement bien dire “mais quel bonheur! Je revis, je renais, je retrouve ma jeunesse, avec un système du siècle dernier, qui me rappelle avec émotion les débuts de l’Internet. J’en ai la larme à l’oeil chaque fois que je dois me ré-authentifier.”

chaton et internet: l'un ne va désormais plus sans l'autre.

Voilà, tout est question de perception personnelle.

Pour le moine du Moyen Âge, l’inquisiteur du XVème ou l’islamiste de base du XXIème siècle, la femme c’est le fait du diable, c’est l’enfer, puisque, évidemment, des phénomènes physiologiques trop facilement visibles mais plus difficilement contrôlables lui assaillent le bas-ventre quand il en voit une un peu trop dévoilée.
Mais oui, la femme c'est l'enfer, enfin! C’est bien connu: l’enfer, Satan l’habite.
La beauté est dans l’oeil de celui qui regarde.

Peut-être.

Mais la concupiscence, aussi.

Et il semblerait que ce soit encore plus difficile à comprendre par certains de nos frères humains.
(je vous l'ai déjà dit: je nous considère tous comme des frères et soeurs ; simplement, on ne choisit pas sa famille)

Décidément, on n'est pas rendu.
















Mais je m’égare...
Les définitions du Grand Robert, on y arrive!

Drapeau:
Pièce d'étoffe (de drap, à l’origine, évidemment) attachée à une hampe et portant les couleurs, les emblèmes (d'une nation, d'un groupement, d'un chef…), pour servir de signal, de signe de ralliement, de symbole, etc.

Étendard:
Enseigne de guerre. 
Arborer, déployer un étendard. Étendard des armées romaines. Déployer l'étendard: entrer en guerre, combattre.

Vous le comprenez, la différence essentielle entre le drapeau et l'étendard, c’est leur emploi.

L’étendard, c’est aussi un drapeau, mais en temps de guerre.

On DOIT l’étendre, le lever, le déployer, l’arborer, le brandir ; il doit flotter dans le vent, sinon, à quoi bon?

Sinon, oui, il redevient un drapeau.


Un Grec arborant son étendard sur les murs de Salone.
Oeuvre de Louis Dupré.

Le français étendard...
(le vieux français “estandart, estendart”, en tant que enseigne de guerre, vers la fin du XIème siècle)
... nous arrive du francique, plus personne n’oserait à présent dire le contraire.

Il nous arrive précisément, du composé ancien bas francique (oui, c'est pointu) *standhard, littéralement “qui se tient debout (stand), fermement (hard)”, d’où stable, fixe…

Le rapport?
Mais oui, l’étendard ne peut qu’être dressé fermement. Sinon, encore une fois, c’est pas un étendard.

Le CNRTL nous précise qu’au Moyen Âge, l'étendard était souvent, pendant la bataille, planté en terre, en un endroit où les combattants pouvaient le voir.

"Juillet 1830", le drapeau tricolore, Collection de Vinck (1830) ©BnF
(source)


Nous avions abordé - sans plus, faudra vraiment qu’on en reparle - la racine proto-indo-européenne à l’origine de ce *stand germanique:

*stā-, “être debout”.

Relisez donc du passage des ans, ainsi que exister, se redresser, transmettre,!

On la retrouve dans le verbe germanique *standan, être debout, dont découlera le tout aussi germanique *stand.


Pour ce qui est de la deuxième partie du composé (“-hard”, pour les moins-bien-comprenants), elle provient d’une gentille racine proto-indo-européenne *kar-1, “dur, ferme…”, qui s’est matérialisée pour l’occasion, par sa variante *ker-, dans le proto-germanique *-hart, *-hard, à notamment valeur de “ferme”.
Elle aussi, elle mériterait bien un bel article...

À noter qu’une autre étymologie rapproche ce second élément du francique *ord ‎(“point, endroit…”).
Je ne l’ai pas étudiée. J’avoue.
Rassurez-vous, j’y reviendrai plus tard, si j’y trouve quelque intérêt.

Mais là, ‘fait vraiment trop chaud.
Même mon ordinateur ralentit, c’est tout dire. Et je ne blague pas.


Alors, OUI!
Notre français standard, emprunt relativement récent (on cite 1893) à l’anglais standard, vient lui aussi du francique *standhard, mais par des voies détournées
Où l’on retrouve le français, comme souvent…

Il faut vous dire que l’ancien français estandart, outre son acception d’étendard, en est venu également à signifier, au XIIIème, dans la même veine sémantique que “ce qui reste ferme”, l’étalon.

L’étalon de poids.



C’est sous cette acception (répétez ça 10 fois de suite, de plus en plus vite) que estandart est passé,
par l’anglo-normand estaundart,
dans le moyen anglais, puis l’anglais … standard!

Nous n’avons alors eu qu’à le reprendre en français, au moment voulu, pour nous émerveiller de ce mot qui manquait si cruellement à notre belle langue française.

Et voilà!


Encore une toute dernière chose!

Le standard, c'est aussi ce pupitre sur lequel travaillaient les charmantes standardistes!


Sous cette acception particulière, standard nous vient aussi de l'anglais standard.
Ici, plus question d'étendard, ni de norme, mais de support, de panneau.

Ce qui est amusant, c'est que les Anglais n'appellent pas du tout ça un standard, mais un switchboard.
Ce que nous pourrions traduire par tableau de distribution. Ou, soyons fou,  standard.




Je suis en nage, je souffre de la chaleur (mais oui, je suis BELGE, vous comprenez? Je suis génétiquement programmé pour la pluie et le froid, et le gris, et le vent du nord qui passe son temps à venir s'écarteler, et les canaux qui n'ont rien d'autre à f. qu'à se pendre, et ce genre de conneries).

Moi, le soleil, je n’aime pas.

Oui, mais un peu. Un petit peu. Et à l'ombre. (Et surtout sans les grillons et autres cigales).
Mais pas comme ça.























Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une très très belle semaine!




Frédéric


Attention, ne vous laissez pas abuser par son nom: on peut lire le dimanche indo-européen CHAQUE JOUR de la semaine!
(Mais de toute façon, avec le dimanche indo-européen, c’est TOUS LES JOURS dimanche…).



Toots Thielemans - Bluesette


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