- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 16 avril 2017

Mein Jesu, gute Nacht! (récitatif n° 67, Passion selon saint Matthieu, BWV 244)





“Le mort le plus chargé de couronnes immortelles aurait souvent tort de ressusciter.”

Claudia Bachi, 
auteur, poétesse et moraliste française
(1820-1864)


“Qui meurt d'extase, qu'il se garde bien de ressusciter.”

Stanislaw Jerzy Lec

Stanislaw Jerzy Lec,
aphoriste et poète polonais,
1909 - 1966)



















Bonjour à toutes et tous!


Je me suis creusé la tête pour vous trouver quelque chose de circonstance, en ce dimanche de Pâques.
Oui, je sais. Je suis bien brave. Une bonne poire, hein... Qu'est-ce que je ne ferais pas pour vous?



Bon, j’avais déjà traité des oeufs,
en chocolat, de Colomb, de Fabergé, ou de béluga...
des cloches,
"Eight o' clock? Mais c'est l'heure de la chasse aux oeufs!" dit Papageno en gloussant et cacardant comme une oie...
et même du mot Pâques lui-même.
Une bonne pâte, ce satrape.

Vous trouverez même, dans la colonne de droite du blog, un thème regroupant ces articles et d'autres:
Autour de Paques


Alors quoi?
De quoi vous parler encore??

Pâques, pour les chrétiens, est la fête la plus importante de l'année.
Loin, loin, loin (LOIN) devant Noël.

Car Pâques commémore non pas la naissance, mais bien la résurrection de Jésus.
Naître, ma foi, c’est pas trop compliqué. On est tous passés par là. Mais revenir des morts, renaître
La résurrection du Christ,
Bartolomé Esteban Murillo


Évidemment, on n’a pas attendu le christianisme pour fêter le retour de la vie, la renaissance de la nature, liée au printemps.

Et bien souvent, les hommes ont associé ce moment si particulier de l’année cyclique avec le retour, le réveil d’une divinité.

Bon, j'admets, il y en a qui s'en sortent un peu moins bien que d'autres
(Festival des Couleurs, Inde)

Aujourd’hui, dimanche de Pâques, pour tous les chrétiens, il est question de célébrer la résurrection de Jésus d’entre les morts, au troisième jour suivant sa crucifixion.


PS: Même si je sors stricto sensu du cadre étymologique de ce blog, je me dois de vous le dire: je me sens profondément chrétien, dans la dimension d’amour, humaine et transcendante que représente Jésus.

Pour le reste… ma vision des choses...
- et puis j’arrête de parler de moi et de mes théories à dix balles -,
... c’est que les croyances ne sont pas à confondre avec la spiritualité, la quête spirituelle. Même si elles peuvent parfaitement lui servir d'écrin, de support.

Croyance et spiritualité peuvent certes aller de pair l'une avec l’autre, même s'il m'apparaît que la croyance, figée, aurait plutôt tendance à vous enfermer dans un certain mode de pensée, où la tentation est grande de considérer ceux qui ne croient pas comme vous comme étant, dans le meilleur des cas, dans l'erreur.

Alors que la démarche spirituelle, plus intérieure, plus personnelle, plus intime...
- on parlera, en accord avec l'étymologie, de démarche ésotérique ; allez, on relit ne confondons pas guerre intestine et gastro-entérite -,
... amène plutôt à rechercher les points de convergence entre tous les hommes, au-delà de leurs croyances, justement.
(Vous trouvez curieux, voire antinomique, qu'une démarche intérieure débouche sur plus d'universalité? Pourtant, nous le savons tous: en littérature, ce ne sont souvent que les passages où l'auteur s'introspecte et se raconte, le plus honnêtement possible, dans ce qu'il a de plus intime, qui nous parlent à tous, car faisant écho à ce que nous vivons et ressentons tous, pauvres humains que nous sommes.) 

Ah, les croyances... 
Ces croyances qui, finalement, vivent ce que vivent les roses, l’espace d’un matin.
Je trouve ainsi particulièrement savoureux que l’on parle de théologie quand on traite du Christ, et de mythologie quand on évoque Zeus.

- Ben, évidemment! Jésus est notre Seigneur, rien à voir avec les fables de Zeus!
- Oui, c’est bien ce que je veux dire. En croyant en un Jésus bien figé, historique, vous risquez, alors, de rejeter toutes les autres croyances, qui ne sont pour vous que mythologies.
Car c’est vous qui avez raison, et qui professez la seule vraie foi.

"Non, il ne copie pas ton look, Il s'appelle Zeus.
Et le comble, c'est qu'il était ici avant nous"

Alors que la spiritualité vous apprendrait que tout le monde peut avoir raison.
Que chacun à sa propre vérité, en lui.

Enfonçons les portes ouvertes:
Je connais des chrétiens qui sont de vrais salopards, imbus d'eux-mêmes, et des athées farouches qui pourtant se comportent comme de vrais chrétiens.

Je connais aussi des chrétiens humbles, aimants, bienveillants, et des athées qui ne sont que de sales cons arrogants, méprisant les croyants, alors qu’eux-mêmes ne sont même pas capables de comprendre que “ne pas croire” ou croire en la Science relève aussi de la croyance

Encore une fois: les croyances…


Tout ça pour vous dire que je vous avais préparé un sujet sur, non pas Pâques ou Jésus, mais bien sur l’Esprit. 

Ce qu’on appelle, avec nos mots et notre vision du monde bien limités, “Dieu”.

Cet Esprit sur lequel s'est construit le mot spiritualité.
(Alors, laissez-moi rire, avec ce fameux “spiritualité sans Dieu”, superbe (divin?) oxymore. Mais non, acceptez l'idée de Dieu, sans tabou, comme des adultes, mais essayez plutôt de l'intérioriser: personne ne peut vous l'imposer, ou la définir pour vous...)


Oui, je sais, j’en ai déjà parlé, de Dieu (ou du moins, du mot Dieu):
en attendant *gheu-*dyeu-
By Jove, Olrik

Mais ici, je voulais vous présenter une autre racine indo-européenne désignant le Grand Esprit: …


Avant de l’aborder, quelques mots, quand même, sur le français résurrection.

Avec une première question, toute simple: dites-moi, quel est le verbe qui correspond à ce substantif “résurrection”?

Allez, cherchez.

Encore.

...

Encore, prenez votre temps.

...

Ressusciter, peut-être?

Ben non. Raté. Rien à voir.

Jacques-Bénigne Bossuet,
1627 - 1704
Ô nuit désastreuse! ô nuit effroyable, où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle: le lien étymologique entre résurrection et ressusciter se meurt, le lien étymologique entre résurrection et ressusciter est mort!



(Oui - pour les nouveaux -, Jacques-Bénigne Bossuet, Aigle de Meaux à ses heures, est toujours bien alerte, et aime marquer d'une tirade dont lui seul a le secret les articles de ce blog où sont épinglés des faux-amis étymologiques.)




Mmmh... Il me semblait bien que ça en valait la peine...
Passons, voulez-vous, un peu de temps...
- le temps qu'il faudra -
... sur résurrection, et ressusciter.



Résurrection:

Nous avons emprunté le mot, au début du XIIème, et sous la forme resurrecciun, au latin ecclésiastique resurrectio, “fait de se relever en revenant à la vie”.

Et resurrectio, lui, s’était construit sur le latin resurrectum, supin de resurgō, resurgere.

Dans resurgō, on pouvait retrouver le verbe surgō (“sourdre, surgir, jaillir, se lever…”), précédé du préfixe re-, ici à valeur réitérative.

Resurgō signifiait donc, littéralement, se relever. 
Mais aussi, par extension, se rétablir, se ranimer.


Si, de surgō, nous avons tiré surgir, de resurgō, nous avons tiré... ressurgir. (fastoche)
Mwouais, ressurgir pourrait ainsi être un bon candidat au titre de verbe associé - étymologiquement du moins - au substantif résurrection.

Et à partir de surgō, nous avons encore créé...  s’insurger, insurgé et insurrection.
Et aussi insurrectionnel tant qu’à faire.

Insurrection est plus récent que résurrection ; nous ne l’avons emprunté que dans la deuxième moitié du XIVème, au bas latin insurrectio, “action de s’élever”.

Insurrection, série en 8 épisodes consacrée à l'Insurrection de Pâques
de 1916, encore appelée les Pâques sanglantes, tragique épisode de
l'histoire irlandaise. Une vraie boucherie...


Quant à s’insurger, il arrivera encore plus tard, au XVème, comme emprunt au latin insurgere, “se dresser”, mais spécialement dans le sens d’attaquer, et, figurativement, de “monter, devenir plus puissant” (ou aussi “faire des efforts”).

En français, cependant, le mot sera introduit avec le sens qu’on lui connaît encore de nos jours:
“s’élever contre l’autorité”.  

Daniel Craig, dans Les Insurgés, Edward Zwick, 2009


- Bon, admettons. Et surgō, alors, il venait d’où??
- Excellente question!

Surgō, figurez-vous, était lui-même, à la base, un composé

Eh oui!

De sub- (“sous”, mais qui indique ici plus particulièrement le mouvement de bas en haut), et de … regō, “diriger, mener, commander… .

Regō? Mais oui, descendant de notre illustre indo-européenne...

*reg-1,

à laquelle s'attachaient les notions de “mener”, de “rectitude”,

et à qui nous devons “rex”, roi, “rajah”, ou même … riche!

Mais oui, oooh, relisez donc...
The Queen, une femme comme les autres

Une femme comme les autres, peut-être.
Mais quel maintien, quelle prestance...


Ça, c’est pour résurrection.


Résumons:

*reg-1mener”,“rectitude” ➯ latin regō, “diriger, mener, commander
sub- + regō ➯ surgō, “se lever” ➯ surgir
in- +  surgō, “se lever” ➯ īnsurgō, “se dresser” ➯ s'insurger, insurrection
re- + surgō, “se lever” ➯ resurgō, “se relever” ressurgir
resurgō, “se relever” ➯ resurrectum ➯ resurrectio  ➯ resurrecciun ➯ résurrection

Bon, au tour de ressusciter, maintenant!

Ressusciter est un emprunt du début du XIIème au latin… resuscitō, resuscitāre, “réveiller, rallumer…”.

Vous l’aurez compris, il s’agit à nouveau d’un composé: 


re- (à valeur itérative) + suscitō, suscitāre, dans le sens de “ériger, élever”, mais aussi
- et c’est ce qui nous intéresse -
“réveiller, encourager, (et évidemment) susciter …”.


Mais en fait, suscitō lui aussi, était un composé! 
Oui, je sais, mais on s'accroche.














De sub-, encore lui, et de … citō.

- Ouais bon, c’est pas de sitôt qu’on va en parler, hein!!
- Que du contraire! Sitôt dit, sitôt fait, citō... 
(ouais bon, c’est vraiment facile, et peut-être même, je dois l’avouer, indigne de moi. Et en plus, citō ça se prononce kitō).

Citō, donc - reprenons -, signifiait “mouvoir fortement, secouer, pousser”.

Ou aussi, par extension, ... “appeler, convoquer

Mais... pourquoi, diable? 
Comment expliquer ce très surprenant développement, qui fait passer le sens de ce verbe de mouvoir à appeler?

En voilà une question qu'elle est bonne.

Mouvoir, c'est mettre en mouvement. Causer un mouvement.

Quand vous appelez, convoquez quelqu'un, vous faites de même: vous poussez cette personne à se mettre en mouvement, vous causez son déplacement, même si par la voix, et non en la secouant et en la poussant dans le dos.

D'où ces dérivés français de citō, qui sémantiquement, à première vue, semblent bien éloignés de la notion première de mouvement:
  • citer (OUI!, comme citer en justice: convoquer devant le tribunal),
  • réciter (le sens premier du latin recitāre, avec ce re- à valeur intensive,  était “lire à haute voix un acte”, d'où “débiter, lire de mémoire...”, d'où aussi nos récit, récital, récitation...
  • susciter,
  • inciter,
  • exciter.


Citō est intéressant.

Car il était le fréquentatif (forme exprimant la fréquence, la répétition) du verbe… cieō, ciēre, “mouvoir”. (Citō était construit sur la base du supin de cieō: cītum.)

Et cieō (ou ciō), “mouvoir, provoquer, déplacer, évacuer, convoquer…”, provenait d’une racine indo-européenne…

Na na na na euh.

Vous voulez peut-être la connaître?
Allez. (Encore une fois, je suis vraiment trop bon.)

L’imperfective …
*ḱey-. 

Que Watkins restrancrit en
*keiə-.

Et que l'on pourrait comprendre comme “mettre en mouvement”.


*keiə-!

C'est peut-être elle - je dis bien peut-être, rien n'est sûr, et Watkins est prudent - qui serait à l'origine de la racine germanique *hait-, “appeler, convoquer”.
Si c'était le cas, on pourrait expliquer cette descendance par le passage par une variante au degré o de *keiə-: *koid-.

C'est à ce proto-germanique *hait- que l'on doit, notamment...
  • le bas allemand heten, 
  • l'allemand heißen, 
  • le danois hedde, 
  • le néerlandais heten, et 
  • le suédois heta, 
tous dans le sens de “appeler”, ou “être nommé”.
(Il existe même un verbe anglais basé sur  *hait-, mais qui est désormais désuet: hight, être nomméêtre appelé”.)

De même, et ici par l'intervention d'une forme suffixée de *koid-*koid-ti-, on expliquerait l'anglais hest (obsolète), “commandement, injonction” et cet autre anglais ô combien formel behest, ordre, commandement”.


Pour retrouver un chemin nettement mieux jalonné, à présent, parlons du degré zéro de notre sympathique *keiə-*kiə-.

C'est par une forme suffixée à valeur itérative, *kiə-eyo-, qu'elle nous donnera bien plus tard le latin cieō, ciēre, “mouvoir”, mieux connu, vu d'où nous sommes, pour son fréquentatif citō.


Il y a un dérivé, anglais, de citō, que je n'ai pas encore mentionné. 
Ce sera chose faite: solicitor, selon le contexte, “notaire”, ou “avocat”.

Évidemment, il prend tout son sens quand vous le rapprochez des acceptions diverses de citō et ses composés, comme “citer en justice”, convoquer”, ou “lire un acte à haute voix”. 

Deux Solicitors


Enfin, une autre forme suffixée de *kiə-*kiə-eyo-, se retrouve, elle...
- MAIS OUI! - 
... dans les grecs anciens κίω, kio, “aller”, et surtout κινέω, kineo, “mouvoir”! 

Comme dérivés, sans surprise, nous en aurons cinéma(-tographe), cinémascope, cinématique, ...

Truffaut, tournant le tournage de la Nuit Américaine
(comprend qui peut)

Et je nous en remets pour la nième fois la bande annonce,
(presque) rien que pour le Grand Choral, de Georges Delerue



... ou encore tous ces mots en kiné-: kinétique, kinésiste, le très tendance hyperkinésie,  kinésiologie, télékinésie, et j'en passe.

l'hyperkinésie, mal de notre société

pourtant, parfois, la solution est si simple.


Wouah!

Avant de nous quitter, faisons vite, comme nous l'avons fait plus haut avec résurrection, le point sur l'histoire du mot ressusciter:

*keiə-, *kiə-“mettre en mouvement” ➯ latin cieō ➯ fréquentatif citō “mouvoir, convoquer” ➯ français citer (réciter, inciter, exciter...)
sub- + citō ➯ suscitō “réveiller, encourager, susciter”
re-  + suscitō ➯ resuscitō, “réveiller, rallumer…” ➯ ressusciter


- Mais?? Et cette racine qui évoquait le Grand Esprit, alors?
- Ah oui, tiens, je l'avais oubliée! Ben mince... on en parlera dimanche prochain, hein?


Bon dimanche de Pâques à toutes et tous! 
Et passez une très belle semaine!



Frédéric

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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).

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Et pour nous quitter,

la fin de la Passion selon saint Matthieu (BWV 244). 
Fin que l'on peut décomposer en deux grandes parties:

La première: une série de quatre ... récitatifs
(un récitatif? une voix de soliste soutenue par un accompagnement instrumental)
+ un choeur, 

La deuxième: le double choeur final.

Cette oeuvre musicale, pour moi l'une des plus belles qui ait jamais été composée, et dans cette interprétation précisément, dirigée par Karl Richter, a le pouvoir de m'émouvoir. 
Jusqu'aux larmes. 

Tout comme c'est Nathalie de Bécaud qui m'a donné le goût du russe, je me demande si, finalement, ce n'est pas Bach qui a fait de moi un chrétien.




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