- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 27 janvier 2013

Oh les filles, oh les filles


article précédent : Here comes the son



Watching your daughter being collected by her date
feels like handing over a million dollar Stradivarius to a gorilla. 
Jim Bishop

(Jim, si tu me lis (et que tu es un peu moins mort): préciser ce prix de un million de dollars est pour moi vulgaire et inutile; la seule mention de Stradivarius suffit déjà amplement à mesurer la valeur intrinsèque de l'instrument auquel tu fais référence. C'est comme si pour toi la valeur d'un Stradivarius se mesurait en dollars ???)


Bonjour à toutes et tous !


"Son" (le fils anglais) était notre mot de dimanche dernier ?
"Daughter" sera celui de ce dimanche-ci !

"Daughter", bien sûr, c'est "fille" en anglais, l'enfant de sexe féminin.

Quel beau mot, je trouve, prononcé "dautteh", l'accentuation étant mise sur le "au", et puis, ce "r" final estompé dans un souffle… (je parle ici de la prononciation britannique standard)

L'affiche de Ryan's Daughter,
David Lean, 1970

- Daughter est votre dernier mot?
- Oui Jean-Pierre, c'est mon dernier mot.
- Eh bien, *dhugəter- sera alors notre racine proto-indo-européenne…
- Mais, et mon million ?
- Eh bien, ton million, tu te le prends d'une main, et tu te le carres (le reste de l'enregistrement de cette ultime et incomplète émission du jeu télévisuel Qui veut gagner des millions est malheureusement inintelligible).


La racine proto-indo-européenne *dhugəter- - qui véhiculait déjà la notion de "fille" - s'est muée en *dohtar en proto-germanique (ou encore *duhtēr selon la méthode de retranscription choisie).
En moyen haut-allemand, elle était devenue tohter
En vieil anglais, elle évoluait sous la forme attestée dohter, pour devenir finalement l'anglais daughter. Et voilà.

Tout comme son pendant *su(ə)-nu - fils, la racine *dhugəter- s'est propagée dans une kyrielle de langues.
- En fait, soyons clair, la racine proto-indo-européenne *dhugəter- se retrouve pratiquement dans toutes les langues indo-européennes, sauf dans les langues celtes et romanes, où elle s'est perdue quelque part, pour être remplacée par le latin filia (fille), le féminin de filius, le fils. -

Petit tour de ses dérivés?
Commençons déjà par le grec ancien !
Où elle devint … θυγάτηρ (thygatēr).

Dans les langues germaniques, via le proto-germanique *dohtar, elle s'est dérivée pour donner ainsi dochter en moyen néerlandais, en scots et en frison occidental (excusez du peu), Tochter en allemand, ou encore dotter en suédois, datter en danois ou dóttir en islandais.

On la retrouve en gaulois: duxtīr, mais aussi en tocharien A: ckācar, en tocharien B: tkācer, en lithuanien: duktė̃, en arménien դուստր (dustr), en perse: دختر (doχtar), en sanskrit दुहितृ (duhitṛ)...

A ce propos, selon Walter W. Skeat dans son Concise Dictionary of English Etymology, le mot sanskrit pour fille, duhitṛ, aurait pu signifier "celle qui trait les vaches", du fait de sa proximité avec la racine -dhugh: traire.

On ne peut rien affirmer, mais cela pourrait éventuellement donner une idée des tâches qui incombaient à la fille de la maison, dans la répartition des tâches de cette société indo-européenne particulièrement structurée…

On a par ailleurs pu reconstruire pas mal de termes proto-indo-européens relatifs aux relations familiales - ce qui m'arrange bien - ce qui nous donne aussi une certaine idée de l'importance de la structure familiale chez ceux que nous appelons les Indo-européens.

Ce que nous en savons nous permet de penser que cette société était essentiellement patriarcale - les termes père et chef de la maison se confondant, mais aussi patrilocale, dans la mesure où la bru quittait sa famille et sa maison, pour rejoindre la maison de son mari. 
Et aussi patrilinéaire, la transmission par héritage passant par le lignage masculin.


Mais revenons plus précisément à notre racine proto-indo-européenne *dhugəter-

En avestique (la langue de l'Avesta, le livre sacré des zoroastriens) elle devint dugeda-, et en vieux slavon d'église, dušti. 
D'où découle le russe дочь ("dotch"), ou par exemple le bulgare дъщеря́ (dăšterja).

A défaut de vieux slavon d'église,
voici du vieux slavon de Marseille



Bon dimanche, bonne semaine à toutes et tous, 
A dimanche prochain !




Frédéric

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