- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 27 octobre 2013

Olga, seule avec un soldat, à Halloween ? Pas très catholique tout ça...


article précédent : j'irai beurrer sur vos tombes



Bonjour à tous.


En ce jourd'hui, non pas une racine, mais deux !!

*kailo- et *sol-

Même si - vous allez le constater - le champ sémantique de ces deux racines est assez proche ou se chevauche parfois, la première a plutôt germé dans les langues germaniques (forcément), alors que la seconde est nettement plus présente dans les langues romanes...

*kailo-              et                *sol-

 Deux racines bien différentes poursuivant un même but,
un peu comme
Danny Wilde et Brett Sinclair



Le mémorable générique de The Persuaders ("Amicalement Vôtre")


Mais je m'éloigne...


A *kailo-, la racine proto-indo-européenne *kailo-, donc, s'attachait la notion de "tout", de complétude...
D'intégrité, si l'on considère l'intégrité comme la qualité d'un "tout" dont rien n'a été enlevé, qui est toujours intact. Indemme en quelque sorte. 

Transmise par le germanique *haila, nous retrouvons *kailo-, via le vieil anglais *hālsum, dans l'anglais whole : entier, tout, "en un seul morceau"...

Ou encore dans l'anglais hale : vigoureux.
C'est ainsi que l'expression hale and hearty, littéralement vigoureux et robuste pourrait se traduire par bon pied bon oeil, en pleine santé, hearty apportant la notion de solidité, de robustesse...

Hail 
L'anglais hail, toujours construit sur *kailo-, s'utilise dans une de ses acceptions comme marque de salutation : "salut" : Hail Mary, c'est simplement Ave Maria...

Curieux ? 
Mais non, pas du tout ! 

Notre français "salut" vient bien du latin salūs, "salutation", certes, mais qui évoquait également la bonne santé, le bien-être : c'est ce que vous souhaitiez à la personne que vous saluiez ; nous l'avons oublié...

Et hail se fonde, lui, sur le vieux norrois heill : en bonne santé.


Le latin salūs provient lui de notre deuxième racine *sol-, dans le champ sémantique de laquelle se mêlaient les notions de "tout" et de solidité, d'intégrité, et donc aussi de bonne santé.

C'est donc de *sol- que nous avons tiré salut, mais aussi salutaire, ou salubre.

Tous via le latin salūs, donc, dérivé - ici on s'accroche - d'une forme suffixée au degré zéro de la variante *solə- de la racine *sol- : *sl̥ə-u-. (Le *l̥ deviendra un ol en latin.)

Quant à sauver, ou sauf (celui de sain et sauf), ils nous arrivent d'une autre forme de la racine : *sl̥ə-wo-, par un proche cousin de salūs, le latin salvus : tout, sauf, en bonne santé, indemne...


Oh, mais *sol- ne nous a pas donné que ça !!

Une forme suffixée *sol-ido nous a ainsi donné, par le latin solidus (solide) : solide, consolider, et ... soldat.

- Ben oui, normal, un soldat ça évoque la force, la solidité...
- Peut-être, mais ce n'est pas ça qui en fait un descendant de *sol-.

C'est bien de la forme suffixée *sol-ido que soldat dérive, mais parce que le soldat est un combattant à la solde de quelqu'un.

Soldat vient du latin médiéval soldarius : le soldier, celui qui reçoit une solde.
Solde étant un dérivé du latin solidus, désignant une ancienne pièce de monnaie romaine utilisée dans l'empire byzantin.

"Solidus" parce que franchement solide !

C'était pas une pièce pour les mauviettes, le solidus : il était - du moins au début - frappé dans 4,5 grammes d'or pur !

Solidus

Et, vous vous en doutez, c'est de ce solide solidus que nous vient aussi... sou !
Notre valeureux sou, disparu de nos porte-monnaie, et qui n'existe désormais plus que dans nos mémoires et expressions populaires...


Mais c'est aussi de *sol- que nous vient seul, solitaire.

Eh oui, sans tomber dans la philosophie de comptoir, la notion de "tout" va de pair avec celle d'unicité.
Si je suis "tout", je suis forcément seul...

Solennel ?
Mais oui, aussi de *sol-, via une forme dialectale dédoublée *soll-o- ! Et hop !

Solennel, de l'ancien français sollempnel (1250), de solene (1190), du latin religieux solennis, du latin classique sollemnis.


Et sollemnis ? Mot composé de sollus ("tout, seul") et (probablement) annus ("an").

Ce qui est solennel n'est, étymologiquement parlant, que ce qui revient une fois par an, ou chaque année.


Et puis, *sol- nous a donné solliciter !!

- Mais enfin, quel rapport ??
- C'est encore cette forme dialectale *soll-o- qui en est l'ascendant, en donnant le latin sollus : tout, en entier, intact.


Solliciter provient du latin sollicitare (notamment "exciter, remuer, inquiéter"), lui-même issu de sollicitus ("tout remué").

Et sollicitus (du verbe sollicitō : ébranler, agiter, secouer fortement) est composé de citus ("mu, mis en mouvement, poussé") et de ... sollus.
CQFD.


Et insouciant ? Celui qui n'a pas de soucis ? Hein hein ?
Souci est le déverbal du verbe (se) soucier, issu de ce même latin sollicitare, ici aux sens de "tourmenter, préoccuper".


Trop fort, *sol- !


Mais ce n'est pas fini ! Nous lui devons aussi ...

...

catholique !

Issu, en passant par le latin catholicus, du grec ancien καθολικός, katholikós ("général, universel"), composé de katá ("complètement") et holos : le tout.

Ici, c'est une forme suffixée de *sol- :*sol-wo- qui est à l'origine du grec holos.

- ben mon cochon !?
- oui, et ce n'est pas fini...


Tout comme *sol-, *kailo- véhiculait la notion de santé.

La consonne proto-indo-européenne *k devient généralement un h en anglais...
De *kailo- nous arrive l'anglais ... health, la santé ! Par le germanique *hailithō...

Ou heal : recouvrer sa santé : guérir.

Mais la notion de complétude attachée à *kailo- en a également fait l'ascendant du mot anglais pour "saint" : holy !!
La sainteté serait ainsi, vue par *kailo-, comme un état de complétude, de perfection...


Holiday, les vacances, le congé, est bien littéralement "holy day" : jour sacré.
Ca correspond d'ailleurs assez bien à l'idée que je m'en fais...

A l'origine, la notion de holy day s'appliquait à certains jours particuliers dédiés aux commémorations religieuses; ce n'est que par la suite qu'elle s'est étendue à nos chères vacances...

Les Grandes Vacances, Jean Girault, 1967


Un pauvre poisson qui faisait les frais des holy days, car c'était particulièrement à ces moments qu'on le consommait, c'est le flétan.

D'où son nom anglais : le halibut ! Le "poisson plat sacré".
Créé sur le moyen anglais haly ("holy") et le désormais obsolète butt, désignant un poisson plat

Flétan, ou
comment passer d'un poisson plat à un plat de poisson


Quelques prénoms créés sur *kailo- ?

Souchés sur le germanique *hailaga, nous avons...
Helga, Oleg, Olga : tous des prénoms évoquant la sainteté, créés sur le vieux norrois Helge / Helga : saint, sacré.
J'ai pourtant connu une Olga que je n'aurais pas vraiment qualifiée de sainte...
Quoique, finalement, sacrée Olga l'aurait assez bien définie...


Et puis - et c'est surtout là que je voulais en venir, ben oui - notre racine proto-indo-européenne *kailo- nous a légué...

...

...

Halloween !

Mot qui n'est que la contraction de "All hallows' eve", désignant la veille du jour de tous les saints.
La veillée de la Toussaint, quoi !

Le verbe to hallow: sanctifier descend lui aussi de *kailo- par le germanique *hailaga, sur lequel s'est souché un verbe dérivé *hailagōn, qui a débouché sur le vieil anglais hālgian : consacrer, vénérer, bénir.

- Mais euh, Halloween, c'est pas du gaélique alors ?? Et p'is, c'est chrétien donc ?
- Oui ! Enfin, non !

Le terme provient bien de l'anglais le plus pur, et n'a strictement RIEN de gaélique - oui, je sais, c'est dur - et est bien d'origine chrétienne.
Et si jamais vous voulez savoir comment s'appelle Halloween en gaélique écossais, par exemple, eh bien c'est Oidhche Shamhna ("OY-cha-HOW-na", le ch se prononçant comme dans loch) : tout simplement et littéralement la nuit de la fin de l'été
Rien à voir avec Halloween.

Non mais.

Mais ce n'est qu'à partir du VIIIème siècle, sous les papes Grégoire III (731–741) et Grégoire IV (827–844), que l'église catholique introduisit la Toussaint en date du 1er novembre, opérant ainsi un syncrétisme avec les fêtes celtes de Samhain.

La Toussaint, ou All Hallows' Eve / Halloween n'est en réalité que la énième christianisation d'une fête traditionnelle, en l'occurrence donc le Samhain celte (à prononcer "sawinn" ou "sowinn"), mot tiré du vieil irlandais et qui signifie littéralement "fin de l'été".

Halloween

La fête du Samhain correspondait donc, par définition, à la fin de l'été - cette fois-ci, tout le monde devrait avoir compris - mais aussi à la fin de l'année selon le calendrier celtique, moment très particulier où le monde des morts était très (très) proche de celui des vivants...

Au point que certains locataires du monde d'à côté pouvaient se glisser parmi nous, si vous voyez ce que je veux dire...

Une façon de les faire fuir et les faire regagner LEUR monde ?
Mais en leur faisant peur !
En se masquant et s'affublant de choses épouvantables, selon la conception: "si ça VOUS fait peur, ça doit aussi LEUR faire peur". Imparable.

Mais d'autres vivants se montraient nettement plus civilisés : en Bretagne, terroir celtique, puisque les âmes des morts revenaient à la veille de la Toussaint, alors, avant d'aller se coucher, eh ben on leur laissait de la nourriture sur la table, ainsi qu'une bûche allumée dans le feu pour qu'ils puissent se chauffer.

Personnellement je préfère nettement cette façon de faire...

J'ai aussi lu que le fameux "Trick or treat" est tiré de la tradition irlandaise, selon laquelle un homme conduisait une procession pour prélever des contributions chez les fermiers (le denier du culte celtique ?), de peur que leurs récoltes ne soient endommagées par les démons...


Trick or Treat



Bon dimanche, bonne semaine, et bon congé / bonne fête de Sahmain / Toussaint à tous !




Frédéric

(et à dimanche prochain.)

article suivant : Une bonne pâte, ce satrape.

5 commentaires:

Françoise a dit…

Bonjour Frédéric,

D'abord, merci pour l'érudition et l'humour. Coktail du dimanche, c'est parfait. Question : consoler, "consolari" en Latin,n'aurait rien à voir avec "désoler" (de solus). D'où sort ce "solari"?
Et comme notre besoin de consolation est impossible à rassasier, comme l'écrivait Dagermann, la question est urgente...
Merci d'avance,
Françoise

Frédéric Blondieau a dit…

Bonjour Françoise,
Merci !

En ce qui concerne "consoler", il provient du latin sōlor, -ārī, "réconforter", cōnsōlārī signifiant plus précisément "offrir de la consolation, ou de la compensation".
On fait remonter sōlor au PIE *sōlh2, "piété; confort"

On retrouve sōlor pratiquement tel quel dans l'anglais solace, "réconfort, consolation..."

Bien à vous,
Frédéric

RB a dit…

Très intéressant. Je dirais même plus : très, très intéressant.
Mais rien sur solidarité… à moins que je n'ai sauté des lignes.
Étonnant, non ?
Solidaire : faisant bloc, un tout, p'têtre, … va savoir ?
Qu'est-ce que pourrait bien nous (ré)pondre notre matinal, magistral et dominical Blondi(ndo)e(uropéen)au !

Frédéric Blondieau a dit…

:-) Bonjour, RB,

Oui, "solidarité", et il y en a encore d'autres, de dérivés à attribuer à ces deux racines !
Je ne me veux pas exhaustif...

Merci, et bon dimanche !
Frédéric

LeScrat a dit…

Bonjour Frédéric,
J'ai relu avec grand intérêt cet article si captivant. Puis, comme un fait exprès, suis tombée sur cette œuvre, d'une certaine ...Olga Beliaeva!
https://www.artfinder.com/product/tarot-reader-girl-optical-illusion-skull-portrait-halloween/
Belle semaine !