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dimanche 30 octobre 2016

un article de circonstance...





“On doit se ranger du côté des opprimés en toute circonstance, même quand ils ont tort, sans pourtant perdre de vue qu'ils sont pétris de la même boue que leurs oppresseurs.”

Emil Michel Cioran in De l'inconvénient d'être né, 1973 

Emil Cioran, 1911 - 1995














Bonjour à toutes et tous!


… Et nous continuons…

Oui, on passe toujours en revue les dérivés - innombrables, et surtout très variés - de notre adorable petite racine proto-indo-européenne *stā-, “être debout”.

Jusqu’à présent, nous en avons examiné les dérivés passés par le latin stō, stāre, “se dresser”, “être debout”.




Je vous propose de commencer cet article …

- Eh oh, et rien sur Halloween?? Mais enfin??
- Bonjour! Oui, bon. Je ne suis pas de ceux qui crachent sur Halloween, d’autant que c’était une fête traditionnelle en nos contrées, avant que le christianisme ne s’y installe.

Mais voyez-vous, j’en ai déjà traité!
Et c’est ici que pourrez lire ou relire cet article d’il y a déjà trois ans:
Olga, seule avec un soldat, à Halloween? Pas très catholique tout ça...
Et entre nous, Halloween, je ne veux pas être méchant, mais c’est la Toussaint, hein…

samhain


Je disais donc, avant d’être interrompu:
Je vous propose de commencer cet article par un mot qui n’est peut-être pas dérivé de *stā-
Mais voilà, dans le doute

Ce mot?

le français étancher.

Trouvé sur un site avec la légende:
Isoler et étancher à l'air les murs de ma maison sur Sète.
Je suppose que ces sortes de béquilles, ce sont des Sètes?


Ce qui est certain, c’est que étancher
- “arrêter un liquide qui s’écoule”, “rendre étanche” -
est la continuation de l’ancien français estanchier, qui n’avait, je vous l’assure, rien d’ordurier.

À partir de là, hélas, on n’est plus vraiment sûr de quoi que ce soit.

Une des options en lice, c’est que estanchier proviendrait d’une source romane, non-attestée
- sinon, ce serait trop facile -
“*stancare”.


C’est de ce roman *stancare que descendraient, par exemple,

  • l’italien stancare “lasser”, 
  • l’espagnol estancar “arrêter un cours d’eau”, 
  • l’ancien provençal estancar “arrêter, fermer”, 
  • le catalan tancar
  • le sarde tancarefermer”…

Et pourquoi lierait-on étancher avec la racine *stā-, me direz-vous?

Eh bien, tout simplement parce ce *stancare roman, que l’on recrée à partir de tous ces mots, proviendrait d’un bas-latin *stānticāre, au sens de “arrêter, retenir…”, toujours non-attesté, donc, qui dériverait, par une forme stānticus, du latin stāns, stantis, participe présent de, de … stō, stāre.

Eh.

- Mais?? Étancher sa soif, c’est quand même boire, faire couler du liquide? 
- Oui, c’est un petit peu curieux, en effet. Il faut comprendre étancher sa soif comme l’arrêter (sa soif), tout simplement.

Même si cela se concrétise par un flux de liquide.



Et chronologiquement, il semble d'ailleurs que ce soit bien cette acception, “apaiser la soif en buvant”, qui soit la première attribuée à notre français étancher.

- Mais... quel est le rapport sémantique avec “lasser”, présent dans  l’italien stancare?
- Encore une bonne question!

Je pense qu'une autre acception du verbe ancien français, à présent oubliée, va nous aider à le comprendre...

Car, au XIIème, étancher pouvait également signifier “s’arrêter… de lassitude”.
D’où fatiguer, épuiser.


je suis las, mais las


Ce n’est en tout cas que bien plus tard, au XVIIème, que notre étancher prendra le sens technique de “rendre étanche”. Si si!

Bon, et si étancher ne descend pas de stō, stāre, il pourrait descendre alors...
- et c’est la thèse de P. Guiraud - 
... d’une forme stannum, variante de stagnum: plomb, étain, stagnare signifiant rendre solide, consolider.

Le sens d’arrêter, et en particulier d’arrêter l’écoulement d’un liquide, correspondrait au latin plumbare, “souder avec du plomb”.

(source)



Et il y a encore d’autres hypothèses sur l'origine du mot…

Sur lesquelles je ne m'arrêterai pas.


Cette notion d’arrêter, on la retrouve dans un verbe français auquel vous ne penseriez jamais: arrêter.

C'est juré, j'arrête de fumer à mon prochain anniversaire

Notre arrêter (1080, c’est pas récent) provient du latin populaire *arrestare, composé sur les latins classiques ad (“à”) et restāre, “s’arrêter, persister…”.

Tiens, et pourquoi parle-t-on d’arrêté, en droit, pour “décision d'une autorité administrative”?

En Belgique, nous connaissons les arrêtés royaux:
actes du pouvoir exécutif fédéral, mais signés par le Roi, et contresignés par un ou des ministre(s)…
Déjà à la fin du XIVème, dans un contexte abstrait, arrêter se disait de la pensée, de l’esprit, qui se fixe sur, ou à quelque chose,
d’où fixer son choix.
D’où encore, par extension, choisir, décider. 

Ne dit-on pas toujours, en langage formel, “arrêter le lieu, le jour, l’heure” d’une célébration, par exemple?

C’est de ce sens de “décider” que nous vient cet emploi juridique de “arrêté”, “décision d’un tribunal, d’une juridiction”.

Ah oui, et pour ce qui est d’arrêter dans le sens de “mettre aux arrêts”, l’emploi est courant et ancien: déjà au XIIème, le mot pouvait s’utiliser pour “s’emparer (de quelqu’un)”, “capturer”, ce qui correspond à “arrestation”.



Vous vous en doutez, ce restāre latin, “s’arrêter, persister…”, d’où nous arrive arrêter, est lui-même un composé de re-, préfixe à valeur intensive, et de … allez, on se concentre, on fait un effort: de, de … stāre, OUI!!

Nous avons emprunté le latin restāre, pour en faire, sans aucune surprise, rester.

Comme illustration, vous connaissez évidemment le célèbre “J’y suis, j’y reste” que l’on attribue au Général Mac-Mahon après la prise non pas de la station de métro, mais du fort de Malakoff, pendant la guerre de Crimée, 1855.

Mac Mahon et ses troupes, avant l'assaut.
On distingue l'emplacement des bouches de métro à l'arrière-plan, sur la gauche

Un autre emprunt au latin, c’est notre constant.

Plus récent (XIIIème), constant provient du latin cōnstāns “ferme, qui ne se laisse pas ébranler”, participe présent (actif) de cōnstō, cōnstāre, “être ferme, persévérer, se maintenir…”, composé de con- (cum-: avec) et de, de, de… YESSS, stāre.

Notons que le mot a subi un glissement de sens, de “ferme” à “fidèle” (en amour).
L’inconstance, au XVIème, prenant la valeur concrète d’acte d’infidélité.

La Double Inconstance, de Marivaux, au Rideau de Bruxelles, 1968 - 1969
(source)


À présent, prenez à nouveau le latin stāre, mais cette fois adjoignez-lui non plus le préfixe cum, avec, mais plutôt cet adverbe que l’on pourrait traduire par “autour, à l’entour de”: circum.

Circumstō, circumstāre serait littéralement “se tenir debout aux alentours”, d’où quelque chose comme “entourer”.

Circumstō aura comme participe présent… circumstāns.
Sur lequel se créera le substantif circumstantia, “action d’entourer”.
Au figuré? Situation, occasion…

Eh oui, nous lui devons circonstance.

Oui, encore un point: circonstance n’aurait jamais dû être féminin, mais comme souvent, on a pris la terminaison en -a de circumstantia comme une marque de féminin, alors qu’il s’agissait du participe présent au pluriel neutre de circumstāns (“les choses qui sont debout autour”).


Et là-dessus, je dois vous quitter…
Mais une semaine, seulement!

Oui, je sais, l'article de ce dimanche est vraiment court...
Mais vous pouvez relire Olga, seule avec un soldat, à Halloween? Pas très catholique tout ça... !!



Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une très très belle semaine!

Déguisement d'Halloween un peu classe, quand même






















Frédéric

Attention, ne vous laissez pas abuser par son nom: on peut lire le dimanche indo-européen CHAQUE JOUR de la semaine!
(Mais de toute façon, avec le dimanche indo-européen, c’est TOUS LES JOURS dimanche…).



Pour nous quitter, une chanson de ...circonstance: 


Lisa Thiel, Samhain song


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